L’indispensable respect pour les bâtisseurs des savoirs !

21 juillet 20200
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Les têtes bien faites se respectent et se célèbrent. C’est ce que laisse entendre Octave Dioba Mickomba , Docteur en science politique, Chercheur associé au Centre de recherche, d’études politiques et stratégiques (CREPS) de l’Université de Yaoundé II-Soa, à propos du Professeur Marc-Louis Ropivia.

Le Professeur Marc-Louis Ropivia, fondateur de l’Ecole gabonaise des géosciences politiques du monde contemporain, l’un des intellectuels gabonais les plus connus et réputés, encore en activité, et un certains nombre de ses anciens collaborateurs universitaires font l’objet depuis quelques jours d’un traitement médiatique à charge, voire d’un lynchage, dans le cadre d’une procédure de saisine du procureur de la République près le tribunal de première instance de Libreville par le ministre en charge de la Promotion de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la Corruption, aux fins d’ouverture d’une enquête pour faire la lumière sur des faits de détournement présumé de deniers publics, corruption et enrichissement illicite à l’Université Omar Bongo.

En d’autres termes plus simples, le ministre de la Lutte contre la Corruption soupçonne le Professeur Ropivia, Recteur démissionnaire, d’avoir détourné de l’argent et des véhicules du parc automobile de l’Etat durant sa gestion de l’Université Omar Bongo dans la période allant de l’année académique 2014-2015 à février 2020.

Au-delà du cadre judiciaire, la gravité des faits supposés reste sans conteste du point de vue éthique et même au niveau symbolique, s’ils sont avérés et démontrés, preuves à l’appui et pièce par pièce, car il s’agit de l’Université, c’est-à-dire le temple du savoir et de l’exemplarité : la forme achevée d’élévation spirituelle.

Une enquête judiciaire jetée dans l’espace public et un traitement médiatique à charge !

Je dois préciser qu’à travers ce propos, il ne s’agit pas pour le citoyen lambda de s’immiscer dans une procédure judiciaire en cours. L’anonyme, sans tribune ni clocher, que je suis, n’est pas partie à ce dossier et n’a pas de parti pris. J’ai simplement voulu activer la fonction de penser, qui ne se délègue point et n’a pas besoin d’une quelconque accréditation, pour dire ce que je crois dans cette affaire, désormais versée dans l’espace public, c’est-à-dire ce lieu qui requiert une liberté libre. Autrement dit, cet espace qui prône une liberté inconditionnelle de questionnement et de proposition, où l’on a le droit de dire publiquement ce qu’exige l’Etat de droit et le vivre ensemble, pour la bonne marche du pays dans l’union, le travail et la justice.

La gestion de ce dossier, notamment le traitement médiatique qui lui est réservé, suscite des interrogations, exaspère l’opinion et divise l’espace public. Il donne l’impression que la lutte contre la corruption dont il est question dans cette affaire est dévoyée, surtout quand on sait que notre pays connait une avalanche d’actes délictueux sous des formes variées, toutes très répandues. Ici et là, on dénonce des détournements, des cas de corruption et d’enrichissement illicite. De plus, on vit au quotidien l’étalage des fortunes ostentatoires dont l’acquisition vertigineuse est inversement proportionnelle à la nature de l’activité, au temps mis dans le monde du travail ou même au niveau d’expertise atteint pour réaliser une telle accumulation.

Que dire de la morale dans les institutions étatiques ? Partout triomphent l’affairisme, des délits d’initié et l’argent roi, bien que la gangrène n’atteigne pas tous les détenteurs de pouvoir. Il est de très nombreux cadres d’administration publiques ou privées, des dirigeants et des opérateurs économiques ou politiques honnêtes.

En réalité, ce qui surprend et exaspère la partie de l’espace public dans laquelle je me trouve, c’est non seulement la théâtralisation et l’instrumentalisation médiatique associée à cette opération, mais surtout les propos humiliants, abjects et sans fondements solides, tenus contre le Professeur, alors que l’affaire se trouve encore au niveau des enquêtes préliminaires.

Nous savons tous que dans le paradoxe de la crédulité informationnelle actuelle, la mauvaise information est mieux mémorisée et va plus vite que la bonne, notamment dans ce nouvel espace virtuel des réseaux sociaux.

Plus curieux dans l’affaire, c’est qu’en un temps record, les informations supposées être au niveau de l’enquête à mi-parcours se retrouvent dans les médias dont certains se délectent de relayer les «  propos  » du Professeur (qui aurait avoué ceci ou cela), alors qu’il est connu de tous que les journalistes ne prennent pas part à un interrogatoire dans le cadre d’une enquête judiciaire. Il ne suffit donc pas de mobiliser l’arsenal juridique, encore faudrait-il assurer le respect des principes de cet arsenal notamment le secret de l’instruction et l’effectivité d’une certaine équité.

Le mépris de l’intelligentsia locale !

Qu’il me soit permis d’évoquer une apostrophe, très célèbre d’ailleurs, employé par le Général de Gaule alors qu’il était locataire de l’Elysée, à l’endroit de Jean Paul Sartre : «  on n’arrête pas Voltaire » ! En effet, alors que la société politique française était en ébullition en cette période de l’année 1968, au moment de la grève générale qui faisait suite aux manifestations estudiantines auxquelles le philosophe de l’existentialisme prenait une part active, il fut réclamé au Général de Gaule l’arrestation de l’auteur de L’Etre et le Néant. Celui-ci répliqua : « On n’arrête pas Voltaire  ! ». On peut toujours trouver à dire ou à écrire sur cette anecdote ! Mais il s’agissait là, d’un bel hommage à l’égard des intellectuels !

Il est vrai que le contexte et les époques ne sont pas les mêmes. De plus, Ropivia n’est pas Sartre. Mais, chaque caïman ayant son marigot, notre marigot Gabon ne doit pas inutilement humilier ses clercs, ses constructeurs des savoirs.

Le Professeur Ropivia n’est peut-être pas concepteur d’une doctrine globalisante à laquelle il aurait, par exemple, donné son nom. Mais, quiconque s’intéresse aux humanités et aux sciences des sociétés dans le microcosme intellectuel gabonais, sait que l’auteur du Manuel d’épistémologie de la géographie et de la Géopolitique de l’intégration en Afrique noire, ou encore de L’Afrique et le Gabon au XXIe siècle et des Batailles précoloniales en Afrique, entre autres, est un bâtisseur des savoirs, un constructeur de pensées et un vulgarisateur d’idées.

Pour avoir souvent pris part à des séminaires et des colloques sur les questions politiques et stratégiques internationales, je peux, modestement, me permettre de dire qu’il s’agit de l’un des plus grands penseurs et vulgarisateurs de la pensée géopolitique et géostratégique africaine. Cela est reconnu par ses pairs de la plupart des grandes institutions d’études politiques et stratégiques de l’espace francophone. C’est donc une des légendes, encore en activité, de l’intelligentsia et du monde universitaire de notre pays. Une légende qui n’est pas au dessus des lois, loin de là ! Mais, une personne qui mérite un certain traitement, une certaine considération et du respect. On n’a pas besoin de l’humilier !

S’il a réellement détourné les véhicules du patrimoine de l’Etat, ou distrait les finances de la première institution universitaire du pays, comme relayé abondamment par les médias, qu’il soit traité à juste titre, conformément aux pratiques en la matière dans un Etat de droit qui garantit la présomption d’innocence, le secret des enquêtes et de l’instruction jusqu’à l’établissement de la preuve des faits irréfutables et crédibles. Ce sont des principes fondamentaux à respecter dans un pays moderne qui se veut démocratique.

Dans notre pays, où la question de la corruption et l’enrichissement illicite est dénoncée par les plus hautes autorités, on ne peut donc ne pas interroger l’hyper médiatisation de cette procédure intentée contre l’ancien recteur de l’UOB. On sait chez nous que l’éthique administrative est bafouée, que la course aux prébendes et le pouvoir monétaire ont depuis longtemps pris le dessus sur le pouvoir intellectuel, indiquant ainsi la préférence de l’attachement à l’alimentaire au détriment des valeurs nobles de justice et d’équité.

Dans notre marigot gabonais où certains estiment que l’Etat n’a pas besoin des docteurs en ceci ou en cela, ou encore des grands diplômes, pour diriger l’administration, les universitaires et les autres constructeurs des savoirs sont méprisés, puis ostracisés : c’est la défiance à l’égard de leur discours et de leur expertise ! Ceux qui veulent s’affirmer en faisant preuve d’une certaine indépendance sont tournés en dérision, surtout qu’on leur demande constamment avec mépris « ce qu’ils ont déjà trouvé » ou « ce qu’ils veulent prouver  ».

Je ne dis pas qu’il n’existe pas d’intellectuels faussaires ou d’universitaires qui utilisent leur expertise et le discours scientifique pour défendre des causes injustes qui trainent les sociétés dans la boue et les abimes de l’histoire !

En effet, et nul ne l’ignore, l’histoire sociopolitique dans notre pays, comme ailleurs, est cyclothymique, c’est-à-dire qu’elle évolue avec la pluie et le beau temps, elle se conjugue avec les drames mais aussi avec les périodes heureuses au cours desquelles la nation reconnaît ses enfants les plus valeureux et leur ouvre de nouvelles perspectives.

En définitive, la République exemplaire se doit de doter l’esprit de la jeunesse gabonaise d’une architecture de pensée profonde, cohérente et constructive qui puisse lui assurer un épanouissement intellectuel susceptible de lui procurer une compétitivité et une dignité : gages de la bonne gouvernance. Pour y arriver, on passe nécessairement par l’indispensable respect pour les universitaires et les autres intellectuels, bâtisseurs des savoirs.

*Docteur en science politique,
Chercheur associé au Centre de recherche, d’études politiques et stratégiques (CREPS) de l’Université de Yaoundé II-Soa

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