DIALOGUE NATIONAL: Le discours du Médiateur de la République

12 April 20170
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Communiqué - Intégralité du discours du Médiateur de la République au dialogue politique le 12 avril 2017 au stade de l’Amitié.

Messieurs les Présidents,

Distingués invités,

Mesdames et Messieurs,

Avant tout je voudrais exprimer mes félicitations pour le choix porté sur vos personnes pour animer le principal organe du Dialogue Politique convoqué par Monsieur le Président de la République, Chef de l’État, Son Excellence Ali BONGO ONDIMBA.

Bien au-delà de ma personne, vous avez bien voulu écouter la modeste voix de l’Institution.

Tout d’abord, je tiens ici à rendre un hommage appuyé à mes prédécesseurs qui ont porté sur les fonts baptismaux la toute première institution issue de la Conférence Nationale de 1990. Ces authentiques serviteurs de l’Etat ont su donner ses lettres de noblesse à l’Institution, en dépit des mêmes et énormes difficultés qui continuent à l’accabler.

Pour rappel, initialement rattachée à la Présidence de la République, l’Institution du Médiateur de la République est devenue ensuite par l’Ordonnance N° 23/2010 du 12 août 2010, une autorité administrative indépendante, anticipant l’esprit et la lettre des résolutions 65/207 et 67/163 de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le rôle de l’Ombudsman et du Médiateur qui ont été adoptées le 21 décembre 2010 et le 20 décembre 2012.

S’agissant de ses missions, Le Médiateur de la République assure, auprès des administrations, des collectivités locales, des établissements publics et de tous autres organismes investis d’une mission de service public, les fonctions de médiation, de concertation, de protection et de promotion des droits. À ce titre, il est notamment chargé:

- de connaître les réclamations de toute personne physique ou morale qui s’estime lésée par le fonctionnement des services de l’État ;

 de rechercher en période de crise les solutions en vue de rétablir la paix sociale ;

 d’inciter l’esprit d’équité dans l’application des textes ;

 de contribuer à la modernisation des services publics par des propositions de simplification des procédures, de réforme de l’administration des principes et règles déontologiques du service public.

L’Institution du Médiateur de la République joue un rôle de veille, d’alerte et de protection de droits fondamentaux et contribue ainsi au sein de la communauté nationale à l’apaisement du climat social. La cohésion et la paix sociale étant des conditions sine qua none du développement, le Médiateur de la République utilise des méthodes pacifiques tels que l’écoute, le dialogue et le consensus. . Le Médiateur de la République doit par dessus tout faire preuve de neutralité, d’impartialité, d’objectivité, de pondération et de discrétion. Il doit s’abstenir de tout conflit d’intérêt. Nanti de la connaissance du contexte historique, culturel et politique, le Médiateur de la République doit dans la mesure du possible avoir l’entière confiance des différentes parties en conflit. Son objectif est de trouver un compromis honorable.

Messieurs les Présidents, Vous m’invitiez à faire de manière synthétique le bilan de nos actions en relevant les dysfonctionnements éventuels.

Après trois ans d’exercice, Notre Institution toujours sans domicile fixe, continue de mener des actions conformément à ses missions en dépit d’une administration inexistante et d’un budget rachitique.

La synthèse des réclamations reçues laisse apparaître en filigrane, le désespérant baromètre de la misère, du désarroi et de la colère souvent justifiée auxquels les usagers sont confrontés du fait d’une administration devenue trop souvent toute-puissante, arrogante voire inhumaine.

D’une manière récurrente et de par leur impact social indéniable, les saisines portent sur:

- le dysfonctionnement de l’Administration en ce qui concerne la protection des droits ;

 les réclamations économiques et financières ;

 les réclamations sociales : paiement de droits de licenciement, de pension de retraite, de régularisation de situations administratives, etc ;

 les litiges fonciers et souvent sur des domaines ancestraux, déguerpissement de nombreuses familles sans zone de relogement aménagée, des conséquences des catastrophes liées aux intempéries dans les zones inondables occupées anarchiquement sous le regard inerte de l’Administration;

 les affaires judiciaires :

 les affaires liées à la déontologie des forces de l’ordre : les traitements humiliants et dégradants des usagers, l’usage de moyens disproportionnés (armes et gaz lacrymogènes) face à des populations non armées généralement les enfants et les femmes.

Vous avez dit Dialogue sans tabou, alors je ne saurai passer sous silence quelques affaires emblématiques illustrant parfaitement les dysfonctionnements synonymes d’obstructions regrettables à l’action du Médiateur de la République:

1. AFFAIRE CAISSE NATIONALE DE SÉCURITÉ SOCIALE :

 La CNSS a engagé en 2009 des réformes structurelles entrainant entre autres le licenciement de plus d’un millier de personnels. Dans l’incapacité à recouvrer leurs droits, les personnels déflatés se résolurent à une longue grève de la faim. Sollicité par eux, l’intervention sur le site de la grève de la faim devant la Cathédrale Sainte Marie, a permis au Médiateur de la République, de sauver in extremis la vie d’une gréviste et donné lieu à l’ouverture de négociations entre le personnel déflaté et la Direction Générale de la CNSS autour du Médiateur de la République.

Au terme de trois semaines de discussions, j’ai pris une décision engageant les parties en conflit, qui signèrent un accord.

La mise en œuvre de cette décision s’est heurtée à une démarche consécutive et similaire du Secrétaire Général de la Présidence de la République.

Sur la base de notre Rapport gratuit et en collaboration avec un cabinet conseil de la place dont le montant des honoraires est supérieur à la dotation budgétaire annuelle de l’Institution du Médiateur de la République, il a engagé de nouvelles négociations entre les deux parties en conflit à l’exclusion des services du Médiateur de la République. Cette démarche surprenante, onéreuse, superfétatoire et désavouant l’autorité du Médiateur de la République a abouti aux mêmes conclusions que le Médiateur de la République sans pour autant avoir rétabli les plaignants dans leurs droits.

2. AFFAIRE AZUR - ARCEP

Dans le cadre de l’analyse régulière de la qualité de service des opérateurs de téléphonie mobile, l’ARCEP avait infligé à juste titre des sanctions pécuniaires à l’opérateur USAN propriétaire d’AZUR. Face à ses difficultés de trésorerie, AZUR avait introduit auprès du tribunal de première instance de Libreville, une requête en annulation desdites délibérations de l’ARCEP. Le jugement prononcé en mai 2014 avait été en défaveur du plaignant. Parallèlement à cette action en Justice, notre Institution a été saisie par l’operateur AZUR sur ce litige de recouvrement des créances dues au titre de deux sanctions infligées par l’ARCEP. L’instruction du dossier démontrait clairement la fragilité financière d’USAN. L’application de l’ordonnance du tribunal représentait une menace réelle pour l’existence de cet operateur avec pour conséquences la perte d’emplois de nationaux et la bipolarisation du marché de la téléphonie mobile. Conscient que l’objectif de l’ARCEP ne visait pas la déstructuration du marché de la téléphonie mobile, le Médiateur de la République avait décidé de suspendre l’exécution des délibérations de l’ARCEP et d’ouvrir des négociations sous son arbitrage pour convenir d’un échéancier de paiement objectivement supportable.

Notre décision fut communiquée aux parties et différents Membres du Gouvernement concernés par cette affaire. Le Ministre de l’Economie Numérique avait dans une correspondance reconnu le bien fondé de notre décision. En revanche, le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux dans une longue correspondance au ton comminatoire adressée au Médiateur de la République désapprouva notre décision de préservation de la centaine d’emplois des nationaux en arguant qu’elle allait à l’encontre de la politique du Président de la République notamment du Plan Stratégique Gabon Emergent et en remettant gravement en cause l’indépendance du Médiateur de la République. Suite lui fut donnée et le détail de ces échanges fleuris est contenu dans un dossier remis au Premier Ministre.

3. DU CHANGEMENT DU STATUT DE L’INSTITUTION DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

En août 2014, sans concertation avec notre Institution, le Ministre des Relations avec les Institutions Constitutionnelles, en collaboration étroite avec le Secrétaire Général du Gouvernement, avait jugé utile de mener une refonte de des missions et du statut de l’institution, sans que mes services ne soient associés.

Le but de cette démarche visait à rattacher de nouveau l’Institution à la Présidence de la République. Nous avons appris cette tentative, à la lecture à la télévision du communiqué final du Conseil des Ministres par Madame le Porte-parole du Gouvernement, pourtant notre interlocuteur au Gouvernement alors qu’elle nous jouait depuis quelques mois, la sérénade de l’espoir de l’adoption des textes d’application par le Conseil des Ministres. Cette tentative matérialisée par un projet d’ordonnance a été infructueuse grâce à la vigilance de l’une des chambres du Parlement surprise de notre absence lors des débats et consternée par le risque de retour en arrière de l’Institution et de violation des Résolutions pertinentes de l’Assemblée Générale des Nations Unies susmentionnées.

4. BLOCAGE DES RÉCLAMATIONS INTRODUITES PAR LE MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE AU MINISTÈRE DE LA FONCTION PUBLIQUE

Je voudrais tout simplement ici dénoncer pour les déplorer l’indifférence et le mépris du Ministre de la Fonction Publique que j’ai relancé personnellement pour l’ensemble des réclamations transmises à son Ministère pour les situations administratives notamment.

5. AFFAIRE DE L’APPEL AU DIALOGUE POUR LA PAIX DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

Lors de l’appel lancé le 07 mai 2016, j’invitais toutes les forces vives de la Nation au dialogue et dressais un état des lieux de la situation que le présent dialogue sans compter les évènements liés à la crise post-électorale sont venus justifier et confirmer. En réaction à mon appel, Monsieur le Porte parole du Gouvernement avait notamment dit et je cite « que ma déclaration décrivait un autre Gabon et était inopportune. Et qu’en outre, Madame le Médiateur « réclamait un titre foncier » fin de citation. Il s’agit là d’une outrance faite à l’Institution agissant dans le cadre de ses missions rappelées dans le communiqué consécutif aux commentaires du Ministre. Enfin s’agissant de ma prétendue réclamation de titre foncier, c’est le lieu pour moi d’inviter à l’avenir Monsieur le Porte-parole du Gouvernement à s’abstenir d’utiliser le bouclier du Médiateur de la République pour s’adresser à certaines hautes personnalités.

6. AFFAIRE DES FEMMES COMMERÇANTES

A ma demande, le 30 Octobre 2015 Indignée par la mise en ligne d’une vidéo dégradante présentant des Mères de Famille dénudées filmées dans un Commissariat de Police par un agent des Forces de Police Nationale, nous avons tenu une séance de travail avec le Monsieur le Ministre de l’Intérieur que je tiens à remercier pour sa parfaite coopération. J’ai recommandé des mesures idoines pour éviter toute récidive et s’assurer qu’au sein de son département ministériel, l’AUTORITÉ rime avec l’EXEMPLARITÉ.

Le Ministre de l’Intérieur avait repris à son compte notre recommandation au Gouvernement de mesures disciplinaires à l’encontre des coupables de l’acte ignoble qui ternissait l’image des Forces de l’Ordre. Par ailleurs, nous avions recommandé de trouver des solutions pérennes susceptibles de concilier les impératifs du respect de l’occupation légale du domaine public et d’installation urgente, durable et sécurisée sur des sites appropriés des femmes gabonaises désireuses d’exercer des activités génératrices de revenus indispensables à l’entretien digne de leurs familles dont elles sont souvent l’unique soutien.

7. COOPÉRATION INTERNATIONALE

En partenariat avec l’ONU et la CEEAC, le Médiateur de la République a organisé à Libreville en Juillet 2016 une Conférence des Médiateurs et Ombudsman de la CEEAC sur le rôle du Médiateur pour l’avènement d’une paix durable en Afrique Centrale. L’Institution bénéficie toujours du soutien du Système des Nations Unies pour la mise en place de l’Association des Médiateurs et Ombudsman d’Afrique Centrale tout comme le lancement du Réseau des Femmes du Gabon pour la Paix dans notre pays.

8. COOPÉRATION INSTITUTIONNELLE

L’Institution du Médiateur se félicite de l’appui que lui apporte sans réserve Mesdames les présidents de la Cour Constitutionnelle et du Conseil Économique et Social.

Même si cette situation objective « d’inégalité de chances » aurait conduit plus d’un homme au découragement, la situation de crise multiforme que traverse notre pays commande à la Femme que je suis de garder espoir que le Gouvernement prenne enfin conscience de l’impérieuse nécessité d’installer l’Institution du Médiateur de la République, régulateur du corps social, à sa juste place dans le paysage institutionnel de notre pays. Pour ce faire, nous recommandons les mesures urgentes suivantes :

- L’adoption des textes d’application de l’Institution du Médiateur ;

 L’attribution d’un siège décent, accessible et sécurisé ;

 L’inscription d’une dotation budgétaire digne des missions du Médiateur de la République ;

 La désignation urgente par le Médiateur de la République des Délégués du Médiateur de la République, en vertu de l’Article 17 de la Loi portant Institution du Médiateur de la République ;

 L’amélioration de la coopération avec le Gouvernement ;

Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs,

Dans votre lettre d’invitation, « ma riche expérience au sommet de l’Etat » était l’autre argument qui me vaut d’être devant vous ce jour, je ne saurais conclure ma communication synthétique sans partager le regard du Médiateur de la République sur la situation actuelle de notre pays de nouveau au carrefour de son histoire socio-politique.

Ma collaboration pendant un quart de siècle avec un Maître de la Paix m’a amenée à suivre et vivre des situations de crise en Afrique dont les prémices sont similaires à la situation actuelle du Gabon. Aussi, je vous exhorte, je vous exhorte à ramener autour d’une même table dans la confiance et le respect mutuel, tous les Fils et toutes les Filles du Gabon. Entendez plus particulièrement les cris d’une Jeunesse en voie de radicalisation et les pleurs des Femmes, porteuses de vie. Les Jeunes comme les Femmes sont toujours les premières victimes des crises.

Je voudrais à cet effet réitérer l’esprit de mon appel du 07 mai 2016 adressé à tous les Gabonais et toutes les Gabonaises, sans exclusive, qui ont en commun et par dessus tout, l’amour sincère de leur pays, la préservation de la stabilité du Gabon et la volonté que notre pays s’inscrive résolument sur la liste des pays où le Dialogue fait le lit de la Démocratie.

Je demeure convaincue que le Gabon peut devenir une Nation forte et prospère avec un Peuple qui sait se parler sans haine pour aboutir à la paix et la réconciliation véritable et indispensable.

IL N’EST JAMAIS TROP TARD POUR LE GABON QUI DOIT DEMEURER AU DESSUS DE NOS VANITÉS.

Plein succès à vos travaux!

Je vous remercie.

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