Décision n°219/CC : La Cour constitutionnelle alimente les débats

17 novembre 20180
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Après avoir rendu sa décision N°219/CC du 14 novembre 2018, la Cour constitutionnelle a soulevé une vague d’indignation de la part d’une partie de la classe politique, de la société civile, des citoyens ordinaires et surtout des juristes. Ces désaccords avec cette décision relève, à notre avis, de la la jonglerie de la gardienne des lois sur les conditions de détermination d’une vacance de la présidence de la République.

L’article 13 de la constitution dispose : «  en cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement définitif de son titulaire, constaté par la Cour Constitutionnelle (…) le Président du Sénat exerce provisoirement les fonctions de Président de la République (…) »

Cet article introduit une notion, celle de vacance. Toutefois, il apparaît que la définition de ce terme juridique et les conditions de son déclenchement apportées par la Présidente de la Cour, ne rencontrent pas l’assentiment général.

En effet, dans une interview qu’elle a accordée à la radio VOA Africa, Marie-Madeleine Mborantsouo, après avoir affirmé de façon péremptoire que « nous ne sommes pas dans le cas de la vacance de la présidence de la République », a donné une approche définitionnelle de ce terme juridique. Pour la présidente de la Cour, la vacance « c’est lorsque le poste de Président est vacant  ». Elle précise par la suite que « la vacance de pouvoir est constatée lorsqu’il y a décès où démission  » sans plus. Pourtant un poste ne peut pas être vacant seulement en cas de décès ou de démission, si tant est que vacant s’entend d’un poste qui n’est pas occupé, qui est vide. Ça tombe sous le sens.

Toutefois, cette limitation des conditions de la vacance à un « décès » ou à une « démission » semble être le nœud gordien de la situation actuelle. La Cour en choisissant de limiter les conditions de la vacance de la présidence à ces deux situations sus-citées, écarte volontairement les incapacités physique et mentale qui elles, peuvent également entrainer une vacance.
En consultant le Toupictionnaire, dictionnaire de politique en ligne, on s’aperçoit bien que la définition qui est apportée au terme vacance, est bien plus complexe que celle servie par la Cour. Il en est de même pour les conditions de son déclenchement.

En effet, selon ce dictionnaire, la vacance est « la période pendant laquelle un poste, une charge, une fonction ou un bien reste vacant", c’est-à-dire se trouve momentanément dépourvu de son titulaire, inoccupé ou vide. Et en ce qui concerne les conditions de son déclenchement, le dictionnaire précise que « la vacance peut être consécutive à un décès, à une démission  » mais plus encore « à un changement de fonction, à une incapacité physique ou intellectuelle…  ».

Nous voyons bien ici, que Marie Madeleine Mborantsouo, en ne se limitant qu’à la mort ou au décès comme seules conditions pour prononcer une vacance, donne le sentiment de vouloir éviter l’application stricte de l’article 13 de la Loi fondamentale. Car dans le cas d’Ali Bongo Ondimba, le Président de la République gabonaise, il s’agit d’un problème de santé. Ainsi, la Cour n’ayant pas assez d’informations sur la santé de ce dernier, prend une décision précautionneuse qui signifie en réalité que quel que soit l’état dans lequel se trouve l’occupant du poste, il ne saurait être question de vacance de pouvoir, tant qu’il n’est pas mort ou tant qu’il n’a pas démissionné.

Constatation de la lacune de l’article 13

Pourtant, le poste est bien vacant. La preuve est que conformément à l’article 16 de la constitution, le Vice-Président est autorisé à présider le Conseil des ministres sur habilitation expresse du président de la République. Or, si la présidence de la République est toujours occupée, comme semble laisser penser la Cour, pourquoi, au lieu d’une habilitation expresse du Président de la République, il a fallu l’intervention de la Cour Constitutionnelle pour que se tienne ce Conseil des ministres sous la Présidence du Vice-Président ?

La seule saisine du Premier ministre ne suppose-t-elle pas que les instituions ont cessé de « fonctionner parfaitement » comme voulait le démentir le communiqué de la Présidence de la République du 11 novembre ? D’ailleurs quel est le cas précis qui déclenche la saisine du Premier ministre ?

À la lumière de la décision de la Cour Constitutionnelle, cette saisine est déclenchée par un cas d’indisponibilité temporaire que le constituant n’a pas prévue. Une question en appelant une autre, quel élément de droit permet au Premier ministre de qualifier l’absence du Président comme une indisponibilité temporaire entrainant une saisine ? Cette qualification s’appuie-t-elle sur un bulletin médical ? La question semble difficile à répondre.

Dans son interview citée plus haut, Madame Mborantsouo a montré qu’elle ne disposait pas davantage d’éléments pour parler d’indisponibilité temporaire. À la question du journaliste : « Avant de rendre cette décision, vous vous êtes assurées quand même que le président ne pouvait pas être là ? », la présidente de la Cour répond vaguement : « de toute façon il n’est pas à Libreville », ajoutons même qu’il n’est pas au Gabon. Est-ce que la non présence du Président de la République sur le territoire national, suppose une indisponibilité temporaire ? Il a pourtant toujours effectué des voyages à l’étranger régulièrement sans qu’il ne soit question d’une indisponibilité temporaire. Cette notion que la Cour ajoute à l’article 13 de la constitution ne devrait-elle pas être motivée par les conclusions d’un bulletin médical ?

Pour respecter la procédure, le Premier ministre aurait dû s’enquérir du bulletin de santé du Chef de l’État avant d’initier sa saisine. Car ledit bulletin est le seul document légal qui fournit les informations précises sur l’indisponibilité temporaire ou définitive d’un patient. C’est le staff médical qui est habilité à déterminer la durée d’indisponibilité d’un malade. C’est la même procédure en cas de décès, on l’a bien vu avec le Président Omar Bongo en 2009, c’est sur la base d’un certificat de décès, délivré par le staff médical de la clinique Quiron de Barcelone, que la Cour a constaté le cas de vacance de la Présidence de la République. Pourquoi cette fois-ci, la même Cour prononce le cas d’indisponibilité temporaire alors que le Bulletin de santé d’Ali Bongo Ondimba, rendu public à travers le communiqué de la Présidence de la République, ne le mentionne pas ?

D’où lui vient alors la certitude qu’il s’agit d’un cas d’indisponibilité temporaire et non pas définitive ?

À ce jour, nul ne peut affirmer que la présidence de la République gabonaise se trouve dans un cas d’indisponibilité temporaire ou définitive en l’absence d’un bulletin médical qui l’atteste. La présidente de Cour Constitutionnelle non plus. Ses prérogatives sont juridiques et non médicales. D’ailleurs elle le montre elle-même par la formulation de cette phrase qu’elle envoie au journaliste : « Si le président revient la semaine prochaine pour présider un conseil des ministres, la décision ne s’appliquera pas ». Elle dit bien « si  », c’est la preuve qu’elle ne sait pas si son absence sera définitive ou temporaire. Alors, pourquoi dans le doute, a-t-elle opté pour une indisponibilité temporaire ? La Cour Constitutionnelle fait-elle du pilotage à vue ?

En conséquence, l’opinion est en droit de penser que la Cour utilise tous les artifices pour ne pas ouvrir une période de transition. Car cette absence du Président de la République du 25 octobre au 14 novembre (21 jours), date de la décision de la Cour Constitutionnelle, entraine bien une situation de vacance de pouvoir.

En effet, même en tenant compte du cas choisi par la Cour à savoir l’indisponibilité temporaire, le dictionnaire cité plus haut, explique que même lorsqu’une fonction « se trouve momentanément dépourvue de son titulaire, inoccupé ou vide  » il s’agit toujours d’une vacance. On est bien face à deux notions similaires : « temporaire » et « momentané ».

En définitive, bien que Marie-Madeleine Mborantsouo pose comme postulat que la Cour Constitutionnelle est la seule institution à qui le constituant à confier le rôle d’interpréter la Constitution, de combler des lacunes entre deux révisions constitutionnelles, l’objet n’est pas de remettre en cause cette prérogative. Il s’agit pour nous de faire constater que dans son travail d’interprétation des textes, la Cour a omis d’intégrer un certain nombre d’éléments comme le bulletin médical du Chef de l’État et la loi organique N°11/98 du 23 juillet 1998 fixant les modalités de délégation des fonctions du Président de la République au Vice-Président, et aussi a procédé à des choix arbitraires.

Au terme de cette analyse, il ressort que l’article 13 ne comporte aucune lacune, la Cour Constitutionnelle a opposé au terme vacance, sa propre définition qui n’est autre que l’« indisponibilité temporaire ». La saisine du Premier ministre conformément à l’article 13 de la Constitution gabonaise, devrait au regard de la loi, emmener la Cour à constater la vacance de la Présidence de la république et non pas à interpréter les textes. Il est donc clair que le Gouvernement et la Cour Constitutionnelle ont décidé du cas d’indisponibilité de la Présidence de la République sans tenir compte de l’état de santé de son titulaire qui pourtant selon la version officielle, « continue d’exercer ses fonctions  ».

PC

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