« Le CTRI devrait mettre un terme aux approximations juridiques du décret convoquant et organisant le dialogue national inclusif »

12 mars 20240
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C’est du moins l’avis de Nestor Bingou, ancien Procureur de la République et Président de l’ONG
Tebakani, réagissant à la publication du décret n°0115/PT-PR/MRI du 8 mars 2024 portant convocation et organisation du Dialogue National Inclusif. Selon le Magistrat, « ce texte est, après l’inscription budgétaire de 5 milliards, le deuxième acte juridique matérialisant le processus d’organisation du Dialogue National Inclusif (DNI) ». Mais, précise-t-il, ce texte contient malheureusement d’énormes irrégularités juridiques qui pourraient constituer des facteurs bloquants pour le démarrage de cet évènement historique qu’est le Dialogue National Inclusif. Il vise notamment les articles 1er, 2, 4, 10 et 11 du décret susvisé.

Sur l’article 1er :
Le Magistrat explique que l’article 1er du décret convoquant le Dialogue National Inclusif fonde la légalité de ce texte sur l’article 51 de la constitution, alors que la constitution du 26 mars 1991 et ses différentes modifications ont été suspendues par l’effet du bouleversement de l’ordre constitutionnel du 30 Août 2023. « C’est parce que la constitution du 26 mars 1991 instituant le régime démocratique au Gabon a été suspendue par l’effet du coup de libération du 30 Août 2023 que toutes les institutions démocratiques créées sous son empire ont été dissoutes », a martelé l’ancien Procureur de la République.

« Il n’appartient pas aux militaires ou au Gouvernement de désigner les institutions dissoutes ou celles qui ne le seraient pas. Le coup de libération du 30 Août 2023 a suspendu la constitution du 26 mars 1991 et le régime démocratique créé sous son empire, pour instaurer un régime militaire d’exception dont la seule base légale est la charte de la transition, qui est aujourd’hui la seule constitution de la Transition », poursuit-il.

La reconnaissance de la constitution du 26 mars 1991 et ses différentes modifications par les militaires a pour conséquence juridique l’affirmation de la légitimité des institutions démocratiques créées sous son empire, dont l’institution présidentielle démocratiquement élue qu’est Ali Bongo Ondimba. Autrement dit, en reconnaissant l’autorité de la Constitution gabonaise dans cette période de transition, les militaires et le Gouvernement reconnaissent de facto l’existence de deux régimes institutionnels dans notre pays aujourd’hui : le régime démocratique fondé sur la constitution du 26 mars 1991, et dont le Président élu du pays est Ali Bongo Ondimba, et le régime militaire d’exception fondé sur la charte de la transition, et dont le Président désigné par les militaires est le Général de Brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, a précisé le Magistrat.

Or, il ne peut exister dans un même pays deux textes fondeurs de l’ordonnancement juridique national. En tentant d’exhumer la Constitution gabonaise, alors qu’elle a été supplantée par la charte de la transition, le Gouvernement crée une cacophonie juridique nationale, a déclaré le Magistrat. En concluant cette partie, il a indiqué que la réalité juridique de notre pays aujourd’hui est que la constitution de la République gabonaise a cessé de produire ses effets depuis le 30 Août 2023. Elle ne peut alors plus servir de base légale à un quelconque texte législatif ou règlementaire du régime de la transition. C’est parce que la constitution gabonaise a été suspendue par les militaires que le pays s’est doté en lieu et place d’une charte de la transition, en attendant la rédaction d’une
nouvelle constitution par le pouvoir constituant.

Le Gouvernement devrait alors corriger la base juridique de son décret pour lui donner force légale ou exécutoire.

Sur les articles 2 et 4

Selon toujours le Magistrat et président de l’ONG Tebekani, l’article 2 de ce décret fixe du 02 au 30 Avril 2024, les dates d’ouverture et de clôture du Dialogue National Inclusif, sans oser donner une définition de la notion de « Dialogue National Inclusif  ». Le Magistrat explique ainsi que « la notion de dialogue national renvoie à elle seule à des assises regroupant les forces vives de la Nation, et par forces vives de la nation, il faut entendre l’ensemble de personnes physiques ou morales dont l’action concourt à la vie de la Nation ».

Si le décret s’était contenté de la notion de « Dialogue National », le Gouvernement pouvait se permettre le spectacle actuel. Mais, le qualificatif « inclusif  » qui est attribué à ces assises nationales est une épithète qui interdit au Gouvernement d’exclure qui que ce soit à ces assises, a ajouté le Magistrat, avant de rappeler la définition de la notion « d’inclusivité  » telle que déclinée par Le grand dictionnaire de terminologie, qui indique que « l’inclusivité est le caractère d’un groupe, d’un milieu ou d’un système qui a fait l’objet des mesures visant à ce que toutes les personnes sans distinction, doivent recevoir un traitement adapté à leurs besoins et capacités et aient accès aux mêmes avantages et possibilités ».

Or, le décret susvisé institue un dialogue national inclusif, en même temps qu’il annule ce caractère inclusif en limitant à 580/2.000.000 de gabonais, le nombre des citoyens devant participer à ce dialogue. Le caractère inclusif de ce dialogue, proclamé par l’article 2, se trouve alors paralysé par
la sélection imposée par l’article 4 du même décret. Il s’agit alors de deux articles contradictoires dans un même texte.

Les droits accordés aux citoyens par l’article 2 sont immédiatement retirés par l’article 4. Ces deux articles ne peuvent alors faire bon ménage dans un même texte, soit le dialogue est inclusif, et l’article 4 n’a alors aucune place dans ce texte, soit il ne l’est pas, et l’article 2 n’a droit de cité ici. Cette cacophonie juridique est d’ailleurs renforcée par l’absence de précision sur les critères de sélection des 580 heureux élus pour ce dialogue.

L’article 4 se positionne, non comme une précision de l’article 2, mais comme un principe de sélection qui annule le principe de non sélection édicté par l’article 2. Lequel de principe devons-nous alors considérer, s’est interrogé le Magistrat.

Sur les articles 10 et 11

Les articles 10 et 11 du même décret prescrivent la transmission sans délais des conclusions du Dialogue au Président de la transition, qui en deviendrait l’agent d’exécution. C’est pourquoi, selon Nestor Bingou, la Ministre en charge de la réforme des Institutions, au cours de l’émission télévisée d’hier, a cru bon penser que le dialogue national en préparation n’aurait pas de caractère souverain. « C’est encore là une autre lecture hasardeuse de ce décret », a réagi le Magistrat, qui rétorque que le caractère souverain des conclusions d’un dialogue ne se décrète pas.

Il est la conséquence logique de son inclusivité. Un dialogue National inclusif est une assise au cours de laquelle le peuple dans son ensemble est appelé à se prononcer sur certaines questions liées à la vie de la nation.

Parce que la souveraineté appartient au peuple, les décisions prises par le peuple au cours d’une assise nationale inclusive sont nécessairement revêtues de ce caractère de souveraineté. Nous comprenons encore mieux ici le sens de la notion de Dialogue National Inclusif qui est synonyme de Dialogue du peuple, un dialogue dont les résolutions sont indéniablement souveraines. Lorsqu’un dialogue national est inclusif, ses conclusions sont de facto souveraines.

La remise en cause du caractère souverain des décisions d’un dialogue national inclusif est une reconnaissance implicite de son caractère non inclusif, a poursuit le Magistrat, qui a invité les militaires à écouter davantage la voix du peuple, à dissiper les malentendus et apaiser les esprits pour un Dialogue National réussi.

« Le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) devrait mettre un terme aux approximations juridiques du décret convoquant et organisant le Dialogue National Inclusif  », a-t-il souhaité en conclusion.

Nestor BINGOU,
ancien Procureur de la République et Président de l’ONG

Tebakani

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