Thèse de Doctorat :‘’Restructuration urbaine à Libreville (Gabon). Politique de la ville et logiques d’acteurs’’ soutenue par Franck Elmer Essono Edoh Sossou

20 février 20200
Partager

L’an deux mille dix-huit et le 03 décembre à 15 heures, il a été organisé la soutenance publique du Doctorat en Sciences Sociales option : Sociologie de la Ville de Monsieur Franck Elmer ESSONO EDOH SOSSOU intitulée ‘’Restructuration urbaine à Libreville (Gabon). Politique de la ville et logiques d’acteurs’’ dans la salle de deuxième année du Département des Lettres Modernes. Inscris à la Formation doctorale Anthropologie-Sociologie sise à l’Université Omar BONGO depuis quatre (4) ans, l’impétrant a soutenu valablement son travail fruit d’une recherche poussée en Sciences Sociales et Humaines devant un jury international composé du :
• Président : M. Raymond MAYER, Professeur d’Anthropologie à l’Université Omar BONGO, Libreville (Gabon)
• Pré-rapporteur : M. Michel LESOURD, Professeur de Géographie à l’Université de Rouen (France)
• Pré-rapporteur : M. Jean-François OWAYE, Professeur d’Histoire à l’Université Omar BONGO, Libreville (Gabon)
• Directeur de thèse : M. Fidèle Pierre NZE-NGUEMA, Professeur de Sociologie à l’Université Omar BONGO, Libreville (Gabon)

Autant préciser que le Jury a été composé d’un Sociologue, d’un Anthropologue, d’un Géographe et d’un Historien ce qui a favorisé la richesse des échanges pluridisciplinaires et transdisciplinaires pour cerner une thématique de recherche pionnière au Gabon. C’est ainsi qu’après trois (3) heures de soutenance, l’impétrant a obtenu la délibération sur Procès-Verbal n°010/18 établi le 03/12/2018 et selon la formule consacrée suivante : Après délibération, le candidat a été jugé digne du grade de Docteur en Sciences Sociales option : Sociologie de la Ville avec la mention : « Très Honorable, avec les Félicitations du Jury et la Promesse de Publication ».

Contexte de l’étude

Depuis 2009, les gouvernements « émergents » gabonais ont lancé un vaste programme de déguerpissement dans la ville de Libreville et sa périphérie censé permettre « l’assainissement et la restructuration » de plusieurs parcelles. Des centaines d’habitations et commerces sont détruits dans le cadre de l’opération ‘’libérez les trottoirs’’ visant à raser les constructions « illicites » afin de construire des logements sociaux, d’agrandir la route nationale 1 et d’écurer les bassins versants. Sachant que la politique de déguerpissement implique non seulement la déterritorialisation forcée mais aussi, souvent une réinstallation imposée, les opérations de déguerpissement observées à Libreville ont été précédé d’une indemnisation financière pour la plupart des déguerpis et expropriés ne laissant plus de doute sur un quelconque relogement, selon les dispositions légales : « Toute personne, aussi bien seul qu’en collectif, a le droit à la propriété. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est lorsque la nécessité publique légalement constatée l’exige, et sous condition d’une juste et préalable indemnisation. ». C’est ainsi que ces programmes pourtant de bonne augure pour la restructuration urbaine de la capitale gabonaise se soldent en échec, agrandissant à cette occasion les rangs de la population mal-logée. En effet, l’éviction des populations des quartiers misérables sans le moindre relogement à court, moyen et long termes, même indemnisées, permet de précariser davantage les populations déguerpies de départ qui n’ont autre choix que de créer de nouveaux quartiers misérables . A ces mesures se juxtapose en Pays en voie de développement une politique de résorption de l’habitat insalubre au moyen de vastes opérations de reconstruction, opérations dont les réussites sont inégales.

Parmi les ressources qui se prêtent à la dynamique urbaine, le logement apparaît comme un secteur prioritaire d’insertion urbaine. Le logement est un produit de première nécessité, et son caractère de produit lui impose une étude de marché chaque fois qu’il doit se développer pour une couche de population déterminée. Il est en effet le domaine à partir duquel toute forme d’insertion peut être tentée. En ce sens, il constitue un indicateur de bonne gouvernance étatique mais un indicateur parfois difficile à quantifier parce que surdimensionné. Il apparaît donc comme un domaine d’actualisation essentiel au développement et à l’accomplissement de l’individu qui développe, pour y accéder, des stratégies diverses. Les stratégies de résolution de ce besoin se déploient en options multiples qui vont de l’acquisition d’un logement clé-en-main à l’habitat précaire, en passant par la location ou par un statut d’hébergé.

Malgré ce constat, le logement est resté le parent pauvre de la coopération internationale jusque dans les années 80, préoccupée au premier chef d’infrastructures, d’industries et d’énergies. C’est en cela que l’ancien Premier ministre gabonais, Paul Biyoghe Mba avait confirmé « cette nouvelle vision de l’habitat, d’une part, à l’occasion de l’ouverture du Forum de l’Habitat tenu, le 6 août 2010, à Libreville, en déclarant que chaque gabonais doit disposer d’un logement décent et facilement accessible qui ne le prive pas de l’essentiel des revenus mensuels et d’autre part, dans sa Déclaration de Politique Générale, devant l’Assemblée Nationale, le 26 novembre 2010, qui consacre 300 milliards de Francs CFA à l’habitat, au logement et à l’urbanisme, 1.500 milliards de Francs CFA aux équipements et infrastructures, et à l’aménagement du territoire ».

Face à cette volonté manifeste des pouvoirs publics de lutter contre la crise du logement décent au Gabon, il s’observe toutefois des formes variées et spécifiques de mal-logement. Le système foncier, basé autrefois sur une relation sociale, se fonde aujourd’hui de plus en plus sur des relations économiques et financières. De ce fait, la valeur financière du foncier s’accroît de jour en jour de sorte qu’une partie importante des citadins est incapable d’accéder à la propriété du sol urbain en ville ». Ce mal-logement est la conséquence de plusieurs facteurs interactifs à la fois économiques, politiques, démographiques et sociaux. En effet, le terme de crise, reflète conjointement les effets d’un moment fort de la conjoncture des marchés immobiliers et le constat d’une incapacité croissante des politiques à infléchir ou corriger ces effets lorsqu’ils s’avèrent contradictoires avec la satisfaction de l’ensemble des besoins en logement sur tout le territoire.

Problème de l’étude

La question du logement social locatif au Gabon est un problème récurrent posé aux gouvernements successifs sans que des solutions probantes n’aient été apportées. Le décalage est en effet important entre les textes, pourtant pertinents, et les réalités administratives et sociales gabonaises entre les ressources et l’efficacité des dépenses sociales : « Dans son discours des vœux à la Nation du 31 décembre 2014, le Président Ali Bongo Ondimba affirme que seulement 20% des 300 milliards de francs CFA annuel d’inscriptions budgétaires réservés aux différentes aides sociales arrivent à destination des populations les plus démunies  ». Toujours selon l’auteur, la misère sociale gagnant quotidiennement du terrain, « il nous faut désormais insister, sur la nécessité d’une volonté commune et partagée d’accélérer l’agenda des réformes sociales et des actions visant à offrir aux Gabonais et aux Gabonaises, le mieux-être auquel ils aspirent et pour lequel nous devons nous dévouer entièrement  ». Dans la plupart des quartiers précaires de Libreville, la misère sociale est visible dans la débrouillardise quotidienne des citadins pour sortir de l’état de pauvreté perpétuelle. Toutefois, la résorption de l’habitat précaire est une partie intégrante de l’aménagement du territoire, et demeure une question participative dont les différents acteurs sociaux sont responsabilisés. En effet, la politique de l’habitat, c’est avant tout une politique territoriale. Une politique de soutien à l’accession par exemple ne peut se passer des territoires et se doit de s’interroger sur la connexion de l’offre produite avec les territoires concernés et les politiques qui y sont conduites. C’est là la garantie d’une greffe réussie.

Enjeux de l’étude

Plus qu’un bien économique, le logement résidentiel qu’il soit social, collectif, individuel voire socio-économique est avant tout une nécessité sociale impérieuse. De ce fait, il doit impérativement être appréhendé sous un double aspect : D’une part, une logique économique qui s’impose comme étant l’exercice d’une activité immobilière conférant à un titulaire le droit au profit. Et d’autre part, selon l’utilité sociale qui le caractérise à travers les projets immobiliers qui sont destinés spécialement aux publics vulnérables. La recherche d’un arbitrage mutuel entre ces deux (2) logiques opposées a constitué notre défi tout au long de notre recherche doctorale. Cette constatation nous amène cependant à un questionnement : Le traitement du logement à caractère social dans la vision actuelle purement néolibérale et individualiste ne risque-t-il pas de faire perdurer cette problématique ? En matière de logement social, est-il permis de n’accorder qu’une faible importance à l’aspect social ? Dans quelle mesure est-il possible de réconcilier le social et l’économique au service de la promotion d’un secteur à vocation sociale ? En réponse anticipée à ce questionnement, nous pensons que la crise du logement social locatif pourrait se solutionner durablement autour d’une réflexion axée sur la recherche d’un certain compromis entre impératifs économiques et impératifs sociaux.

La politique du logement social de 1960 à nos jours

Depuis son accession à la souveraineté internationale, le 17 août 1960, la question du ‘’logement pour tous’’ a toujours occupé une place de choix dans l’élaboration des politiques sectorielles en milieu urbain et rural. Du Président Léon MBA à l’actuel Président Ali Bongo Ondimba, en passant par le Président Omar Bongo Ondimba, la lutte contre la pauvreté urbaine a toujours été leur cheval de bataille au travers des politiques du logement social dont le but visé est l’inclusion sociale des habitants. Nous pouvons citer pour preuve le récent Recensement Général de la Population et des Logements (RGPL) qui s’est tenu durant l’année 2013, une manière de s’enquérir véritablement des données de terrain pour planifier à long terme d’éventuelles actions gouvernementales.

Dès son arrivée à la Magistrature suprême en 2009, le Président de la République Ali Bongo Ondimba a mis un accent particulier sur les politiques de l’habitat social baptisées ‘’habitat pour tous’’ dans son Plan Stratégique Gabon Emergent (PSGE). Il l’a matérialisé par la création du Ministère de la Promotion des Investissements, des Travaux Publics, des Transports, de l’Habitat et du Tourisme, chargé de l’Aménagement du Territoire, et a promis de mettre en place « un programme de construction de 5.000 logements par an et d’aménagement de parcelles, de façon à permettre à tout citoyen de pouvoir disposer d’un logement digne. Les quartiers insalubres des centres urbains notamment ceux de Libreville doivent être réhabilités et modernisés  ». A ce jour, il a été livré « 13.376 maisons et appartements, et 4.933 parcelles loties dans tout le Gabon  » dont l’acquisition d’une des neuf (9) catégories de logements résidentiels sont commercialisées par la Société Nationale du Logement Social (SNLS) et la Société Nationale Immobilière (SNI), les seuls promoteurs immobiliers publics au Gabon. Pour cette étude, nous nous sommes principalement focalisés sur les formules commerciales proposées par la SNLS, sachant que la SNI ne fait plus dans le social (location-achat) depuis 2013 pour se convertir dorénavant dans la promotion immobilière. Frappée en effet par des lourdeurs administratives et des difficultés de tout genre, la SNI a été remplacée dans ses missions sur l’habitat social par la SNLS en 2013, et dont les offres sont les suivantes : achat direct, location simple et location-achat.

Il ressort toutefois que seuls les logements de catégorie moyen standing et standing plus suivants, de la formule location-vente, pourront bénéficier d’une proposition de moyen de financement des banques UGB (Union Gabonaise de Banque) et BICIG (Banque pour le Commerce et l’Industrie du Gabon), dont le coût financier varie entre 23 millions et 42 millions de Francs CFA. Ainsi, le potentiel acquéreur devra payer le logement à crédit et ce, durant la durée du bail (qui varie entre 8 et 10 ans) dont l’échéance mensuelle sera de 130.000 Francs CFA par mois pour une maison de 23 millions de Francs CFA ou 230.000 Francs CFA par mois pour la maison de 42 millions de Francs CFA. Pourtant, une analyse de la Banque Mondiale réalisée en 2012 a révélé que seulement 3% de la population adulte gabonaise bénéficiait d’un prêt immobilier car, les banques affichent ainsi des taux prohibitifs pouvant s’élever jusqu’à 22% par an. Ce chiffre sur les taux prohibitifs de la Banque Mondiale n’a guère évolué jusqu’en 2019, pourtant le Gabon détient le taux de bancarisation le plus élevé de la zone CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale), soit 20% de la population totale depuis le 15 septembre 2016.

Projections optimistes

Manquant de données chiffrées sur le nombre total de logements livrés et parcelles loties dans le cadre de l’habitat social au Gabon en général et à Libreville en particulier, nous focaliserons notre étude sur les données disponibles et récentes durant la période 2009-2016. Le nombre de parcelles loties s’élevant à 4.933 à Libreville, et celui des maisons et appartements à 13.376 sur tout le territoire national dont 6.680 dans la province de l’Estuaire. Ce volume de réalisation est si faible qu’à population constante, le déficit en logements et en parcelles ne sera résorbé par supposition qu’au bout d’un siècle. A l’échelle nationale, le déficit en logements et en parcelles fait ressortir quatre (4) projections optimistes :

  Si 6.680 est le nombre d’unités construites tous les sept (7) ans dans la province de l’Estuaire et 181.695 unités le déficit à combler, la résorption de la demande sociale se fera après cent quatre-vingt-dix (190) ans.
  Si 13.376 est le nombre d’unités construites tous les sept (7) ans au Gabon et 259.579 unités le déficit à combler au Gabon, la résorption de la demande sociale se fera après cent trente-six (136) ans.
  Si 4.933 est le nombre de parcelles loties tous les sept (7) ans à Libreville et 38.864 le nombre de nouvelles parcelles nécessaires, la résorption de la demande sociale se fera après cinquante-cinq (55) ans.
  Si 5.000est le nombre de logements devrant être construit chaque année, le nombre de logement à construire par jour est de 14 et celui par mois sera de 411.

Ces projections apparaissent comme optimistes lorsqu’on considère le taux d’accroissement naturel de la population gabonaise qui est de 2.7% et grâce auquel la population devrait se situer autour de 2.600.000 d’habitants dès 2030. Au-delà de ces 6.680 logements, l’Etat gabonais a décidé de viabiliser 650 parcelles (soit 32,5 hectares) de terrain avec titre foncier qui seront proposées en soutien à la résorption de l’habitat précaire et, à raison de 8.500.000 Francs CFA la parcelle de 500 m2. Sur la base des résultats obtenus lors de notre recherche doctorale, les acquis de cette thèse exhortent à promouvoir une meilleure intégration de l’individu en milieu urbain par l’instauration d’une vision plus humanisante de la ville qui favorise une participation consciente des populations au développement social, politique et économique, et une plus grande loyauté dans l’application des politiques définies par les pouvoirs publics.

Franck Elmer ESSONO EDOH SOSSOU

Dans la même rubrique

0 Commentaire(s)

Poster un commentaire